Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
NOUVEAUX MONDES
9 juillet 2013

QUE LES FUTURS ASSASSINES COMMENCENT

                                                         EXCLUSIF      ---             INEDIT

 

QUE LES FUTURS ASSASSINES COMMENCENT !

par

HERVE BAZIN

 

La Palice définit : "La violence est un abus de la force". Tout le monde l'approuve, je suppose. Mais La Palice continue :"La non-violence est un abus de la faiblesse". Je ne plaisante nullement : cette opinion inconsciente est celle du plus grand nombre. Le mot force et le mot violence sont devenus tellement synonymes que les grands politiques du café du commerce fronceront les sourcils quand vous rectifierez : la non-violence est seulement le non-abus de la force. Mais d'une certaine force. D'une qualité humaine de la force.

- Je vous entends, Monsieur, recanera un capitaine en retraite. Mais vous n'inventez rien. Aucun peuple n'aime la force pour elle-même. On n'aime la force que... par force. Uti, non abuti, telle est la devise du bon patriote. Ou encore : montrer sa force pour ne pas avoir à s'en servir. Ne sommes-nous pas d'accord ?

En aucune façon. J'admets que l'Européen moyen, aussi sérieux que mobilisable, soit parfaitement sincère en me cornant dans les oreilles cet aphorisme qui sert de paravent aux pires politiques et fait la fortune des budgets militaires. Remarquons pourtant que la force dont il s'agit est la force armée. Remarquons aussi que "montrer cette force", c'est provoquer une compensation compensatrice, fonder la paix sur cet équilibre (toujours instable) des forces. Non pas la guerre, d'ailleurs, mais la non-guerre (ou guerre froide). Non pas la paix, mais sa paix. Ainsi conçue, la force est déjà chantage, bluff, course à la puissance. Elle est préface d'agression, car toute force est mouvement : l'Histoire nous l'affirme au moins autant que la physique. En somme, cette force est tout bonnement violente au repos ; "Montrer sa force pour ne pas avoir à s'en servir...." formule hypocrite !

Traduisons : tirer de sa force un argument pour faire l'économie d'une plus coûteuse violence. En tout état de cause et même si cette force ne doit vraiment jamais être déployée, elle n'en est pas moins employée : elle arrive à ses fins, par l'énormité de sa menace (Hitler et la Tchécoslovaquie), par la violence morale.

Nous estimons que le non-abus de la force se confondra pratiquement avec le non-usage, tant que cette forme restera à la disposition des nations. Aucune loi ne permet à l'individu de "se faire justice "soi-même" : elle proclame au contraire que la collectivité à seule le droit et le devoir de la - 2 -

rendre. Or, les nations ne sont pas autre chose que des personnes morales, des individualités dans la collectivité internationale. Le problème de la liberté et de ses limites devient ici celui de la souveraineté, liberté des peuples. Les révolutions démocratiques, faites pour résoudre le premier problème, ont toutes abouti à des constitutions, à des codes, c'est-à-dire à l'organisation (fort imparfaite au demeurant) du principe de non-violence intérieure. Mais pour les gouvernements, ces féodaux sans suzerain, cette violence n'est pas un article d'exportation : son accession sur le plan international exige une dernière révolution, conséquence et complément des autres réalisations véritables de cette démocratie des nations que réclament les postillons oratoires de l'ONU avec plus d'éloquence que de sincérité.

- Bien, reprend mon honorable contradicteur, mais toutes les révolutions sont rudes, voire sanglantes. L'égalité des citoyens n'a été conquise sur les féodaux que grâce à leur destruction. L'égalité des peuples ne sera obtenue que par la destruction des impérialismes. La non-violence ne peut pratiquement s'établir qu'en recourant -au moins une fois- à la violence. Elle n'est qu'un éta d'âme pour vous et un but pour l'humanité. Si vous la considérez comme un moyen d'arriver à son but, vous êtes des petits marrants.

L'objection paraît grosse : c'est bien ici la pierre d'achoppement, c'est bien ici que les agents voyers du conformisme peuvent planter l'écriteau : "Attention ! Utopie. Kilomètre zéro". Pour s'imposer, les partisans de la non-violence ont-ils des armes ? Des armes telles quelles puissent un jour surclasser celles des violents ?...

Je ne sais plus qui disait :"On a toujours les armes de l'adversaire, il suffit qu'elle lui tombent des mains". Si l'on admet que la SDN, puis l'ONU, se sont fondées à la suite de deux guerres et ne sont en fait que leur imparfaite mais non négligeable conclusion, il faut que la non-violence peut sortir de la violence même par dégoût ou par épouvante. Il y a une satiété de la destruction comme il y a une satiété de la passion. La paix universelle peut aussi s'établir d'une manière très simple : par la réalisation des objectifs mondiaux d'une seule puissance. Ce serait alors la paix de la catastrophe, la paix à sens unique, imposée par le suprême triomphateur. On entendait dire couramment :"il n'y a plus que deux super-puissances. Que l'une élimine l'autre ! C'est la seule façon d'en finir". Le raisonnement est atroce, mais n'est pas sans valeur. La Chine a toujours absorbé ses conquérants. Le monde, cette plus grande Chine, absorberait sans doute le sien assez rapidement au prix de terribles souffrance. Il est même bien possible que l'Histoire en décide ainsi. C'est une éventualité - la pire - qui ne doit pas nous décourager. D'abord parce qu'elle n'est pas fatale. Ensuite parce que, - 3 -

dans l'instant, notre propagande mime la mauvaise conscience du vainqueur éventuel, enfin parce que tout ce que nous aurons dit ou fait en faveur de la non-violence aura quelque chance de la convaincre le jour où la violence sera devenue sans objet. On ne peut plus guère en douter, ce monde sera unifié, sera définitivement pacifié. Par la mort ou par la vie.

Excusez-nous de préférer le second terme. Je ne soutiens pas que la non-violence soit le moyen le plus probable qu'ait l'intention d'employer cette sacrée garce de sottise humaine (au moins égale à notre génie), mais qu'elle est certainement la plus économique. Outre la préservation du capital-biens, elle nous assurerait une civilisation finale infiniment plus riche, puisque obtenue par fusion et non par élimination. La démonstration de ces avantages n'est pas à faire, le colonel le plus obtus en convient. Où tout se gâte, c'est dès que les non-violents sont mis au pied du mur et qu'on les prie - ironiquement - d'annoncer leurs atouts.

Nous n'en avons qu'un, à mon sens, mais l'histoire nous enseigne son immense portée : il s'appelle le refus. Le christianisme (qui n'est devenu violent que le jour où, victorieux, il s'est laissé annexer par le pouvoir) s'est imposé après quatre siècles de persécutions par la seule non-violence, par le refus de sacrifier aux idoles. (Remarquez qu'elles ne représentaient plus rien, non seulement pour les chrétiens, mais pour le scepticisme général). Ce détail est très important : il faut une ambiance favorable, qui fasse du refus un thème collectif. C'est le cas pour le pacifisme, actuellement. Le christianisme est la démonstration éclatante de fait qu'une idée peut s'imposer au monde par sa seule force. La propagation du bouddhisme et du taoïsme, également. La survivance du judaïsme, malgrè les persécutions, est un autre exemple satisfaisant "Israël, sois un refus constant parmi les nations"

Je n'ai pas besoin de citer Gandhi à mon tour : sa campagne de désobéissance non-violente a sapé la domination anglaise aux Indes en leur conservant l'unité qu'elles ont perdue depuis l'emploi de la violence. Mais regardons chez nous : qui oserait nier l'extraordinaire puissance, acquise en un siècle, par ce refus organisé qui s'appelle la grève ? Le syndicalisme nous montre la voie. De l'action passive (obéissance du mobilisé qui va au casse-pipe à contre-coeur) il faudrait passer en masse à l'inaction active de l'objecteur et produire sur le plan militaire la même paralysie générale que produit la grève sur le plan économique. Voilà pourquoi, soit dit en passant, la reconnaissance officielle de l'objection de conscience a une telle importance. Mais voilà aussi pourquoi certains gouvernements hésitent si fort à l'admettre. Même s'ils n'ont pas de butsinavouables, ils craignent - avec quelque raison - qu'un refus de la violence mette leurs sujets en état d'infériorité à l'égard de voisins moins évolués. C'est un corollaire du

- 4 -

slogan bien connu : on ne désarme pas unilatéralement.

Nous n'en sortirons pas, direz-vous. Est-ce si sûr ? La plus exigeante prudence peut trouver un biais, à condition de faire bon marché, d'une certaine susceptibilité de la souveraineté, dont l'interdépendance économique des peuples et le mondialisme des conflits soulignent assez le caractère périmé. Que toute nation, pacifiste, mais inquiète, mette son armée à la disposition de la collectivité internationale, en spécifiant que provisoirement cette armée ne quittera pas le territoire national. Le geste est mince, bien incomplet, mais il aurait une immense portée morale, un prodigieux effet de choc. Si la France ou même la Belgique, dont les divisions seraient balayées en quinze jours et sont de ce fait rigoureusement inutiles, donnait cette leçon au monde, je gage que trente nations se disputeraient l'honneur et l'avantage d'agréger autour de cet embryon de police internationale des forces aujourd'hui dispersées. A défaut de nous, ne se trouvera-t-il pas une nation faible pour se rendre compte de la garantie morale qu'elle s'assurerait en se proclamant non plus pays neutre (tous les neutres ont une armée), mais province des Etats-Unis du Monde ? Même s'il ne s'agissait que du ichtenstein ou du Guatemala, cette décision mettrait l'ONU au pied du mur, car elle ne pourrait y répondre par la négative sans perdre la face... A ceux qui me réserveraient l'épithète de fantaisiste, je rappelle qu'il existe déjà des territoires internationaux, définis comme tels, mais sous la contrainte des traités.

"Que messieurs les assassins commencent..." disent les argousins, relayés par les politiciens, ces objecteurs d'inconscience. Non ! Que les futurs assassinés commencent... La non-violence n'est pas démission, mais mission.

Publicité
Publicité
Commentaires
NOUVEAUX MONDES
Publicité
Archives
Publicité