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NOUVEAUX MONDES
12 juillet 2013

SEMBLABLES ET DIFFERENTS

SEMBLABLES ET DIFFERENTS

par le professeur Jean Bernard de l'Académie française,

de l'Académie de Sciences et de l'Académie de Médecine

 

1)

En 1900, Karl Landsteiner, chef de travaux à la faculté de Médecine de Vienne, découvre les groupes sanguins. Le premier système de groupes sanguins s'appellera ABO. La découverte de Landsteiner permet la naissance puis l'essor de la transfusion sanguine qui, tout au long du XXè siècle, a sauvé des millions d'êtres humains. On apprend bientôt que les groupes sanguins demeurent pour une personne donnée, les mêmes de la naissance à la mort et que leur transmission familiale au long des générations obéit aux lois de l'hérédité établies en 1865 dans son couvent de Bohême par le moine morave, Grégor Mendel. Les groupes sanguins - écrit alors Karl Landsteiner - définiront un jour l'homme mieux que les empreintes digitales.

En 1939, Karl Landsteiner, émigré aux Etat-Unis, après les graves évènements qui ont accablé l'Europe Centrale, fait une deuxième grande découverte. Il isole un nouveau système de groupes sanguins, le système Rhésus. Cette deuxième découverte, comme la première, va inspirer deux progrès importants, les uns du côté de la médecine, les autres du côté de la définition de l'homme. Du côté de la médecine d'abord lorsqu'un élève de Landsteiner, Philippe Levine, montre que de très graves maladies du nouveau-né sont dues à un incompatibilité dans le système Rhésus entre la mère et l'enfant qu'elle port, à un conflit, la mère formant des anticorps anti-Rhésus qui souvent tuent l'enfant. Ces graves maladies du nouveau-né ont ainsi tour à tour décrites, comprises, traitées, prévenues. Elles vont bientôt disparaître. Elles tuaient en France en 1939, 3 à 4000 nouveaux-nés chaque année.

Du côté de la définition de l'homme. Le système de Rhésus est beaucoup plus complexe que le système ABO. Cette complexité paraît longtemps désordonnée. Elle est éclairée par les études du généticien anglais Fisher. Celui-ci n'est ni médecin ni biologiste. Il est en quelque sorte un mathématicien de la génétique. Examinant les arbres généalogiques des familles concernées, il affirme l'existence de six sous-facteurs CDE, cde. On lui fait remarquer que certaines des combinaisons des six sous-facteurs sont connues mais que de nombreuses combinaisons n'ont pas été observées. Avec le flegme de Cambridge il répond : attendez. En effet les études ultérieures de nombreuses familles confirment les prévisions de Fisher. De telles prévisions sont connues en astronomie avec Le Verrier, en chimie avec Mendeleïev. Elles sont exceptionnelles en biologie.

 

2)

Auto-satisfaction, confort intellectuel sont les conséquences de ces découvertes. On croit vers 1950 l'affaire des groupes sanguins terminée. Elle va bientôt être heureusement bouleversée par de nouvelles grandes découvertes, celles de Jean Dausset.

Jean Dausset est en 1952 médecin transfuseur attaché au Centre national de transfusion sanguine. Il observe après une transfusion de très sérieux troubles (jaunisse, urines sanglantes, douleurs lombaires) chez la jeune femme transfusée. Ces troubles rappellent les désordres qui surviennent lorsqu'il y a erreur de groupes, lorsqu'on a transfusé le sang d'un donneur incompatible. Les vérifications sont faites. Il n'y a pas eu erreur de groupes. Les groupes sanguins du donneur et de la receveuse sont les mêmes. Alors survient la découverte. Les groupes sanguins connus alors (ABO, Rhésus) concernaient les seuls globules rouges. Jean Dausset postule l'existence de groupes de globules blancs. Il émet l'hypothèse qu'une incompatibilité dans ces groupes de globules blancs est responsable des accidents observés. Cette hypothèse est bientôt confirmée par les recherches biologiques. Un nouveau système de groupes sanguins est décrit. Il s'appellera HLA. Les médecins du passé parlaient grec ou latin (Molière les a assez moqués pour cela). Les médecins de notre temps parlent anglais et cette grande découverte française est illustrée par des initiales anglo-saxonnes. HLA veut dire Human Leucocytes Antigens. Antigènes des globules blancs de l'homme. Les globules rouges sont des sacs d'hémoglobine. Les globules blancs sont des cellules complètes avec noyau, protoplasme, membrane. Ce qui est vrai pour les globules blancs est vrai pour les celules de nos tissus, de nos organes, et bientôt pour le système HLA on parlera de groupes tissulaires et non plus de groupes sanguins. La découverte de Jean Dausset a pour la médecine deux conséquences heureuses. Elle va permettre les greffes, les transplantations d'organes. Par ses travaux poursuivis à l'Institut de recherches sur les maladies que je dirigeais alors à l'hôpital Saint-Louis, Jean Dausset montre que le succès des greffes d'organes dépend de la compatibilité entre donneur et receveur dans le système HLA. Les greffes de moelle osseuse, les greffes de rein, vont grâce à cette découverte sauver de nombreux malades gravement atteints.

Deuxième conséquence médicale, la naissance d'une médecine de prédiction. L'appartenance à tel ou tel sous-groupe du système HLA représente la prédisposition à certaines maladies. Ainsi très bientôt pour le diabète, certains rhumatismes. De fortes recherches sont en cours. Tout permet d'espérer que la médecine du XXIè siècle sera pour une large part une médecine de prédiction et donc souvent de prévention avec la diminution du malheur. La diminution aussi des soucis économiques que donne aujourd'hui la médecine. Il est moins coûteux de prévenir un diabète que de le traiter.

Le système HLA est - on l'apprend bientôt - beaucoup plus complexe que les systèmes antérieurement connus. On compte actuellement environ 600 millions de combinaison de ce système. Si à ces 600 millions on ajoute les autres groupes (ABO, Rhésus, etc..) on arrive à des milliards et des milliards et à la définition précise de chaque homme. Depuis qu'il y a des hommes et tant qu'il y en aura (et réserve fait des jumeaux vrais) il ne s'en est jamais trouvé, il ne s'en trouvera jamais deux pareils. Chaque homme est un être unique, irremplaçable, différent de tous les autres.

Je suis invité à exposer ces découvertes au Vatican devant un auditoire de cardinaux et de chefs d'ordres religieux. Intervenant dans la discussion qui suit la conférence, un éminent cardinal me dit : "cher docteur, vous annoncez que la biologie démontre que chaque homme est un être unique. Mais nous, théologiens, il y a très longtemps que nous le savions". Je répondis respectueusement au cardinal qu'il n'était pas indifférent d'en apporter la preuve biologique.

 

3)

L'anthropologie classique, celle de Broca, mettait au premier rang les formes et les couleurs, la forme du nez ou du visage, la couleur de la peau. Nous savons aujourd'hui que les groupes sanguins, bien mieux que formes et couleurs, sont les expressions fidèles de nos gènes. Les Aïnous, habitants de l'ile d'Hokkaïdo au nord du Japon, découverts par la Pérouse en 1787, ont la peau blanche. Mais leurs groupe sangins sont très différents de ceux des Européens, très proches de ceux des Mongols.

Les groupes sanguins,les groupes tissulaires sont devenus pour les anthropologues des précieux instruments de travail. Ainsi leur étude a permis de démontrer l'origine asiatique des Indiens d'Amérique, des Peaux Rouges.

Entre les hommes il n'y a pas inégalités mais différences. Tel caractère sanguin désavantageux ici est avantageux là. Une anomalie de l'hémoglobine est fréquente en Afrique. Ell peut, héritée des deux parents, être très dangereuse. Elle protège du paludisme ceux qui la portent.

De l'étude des groupes sanguins, on est récemment passé à l'étude de ces gènes, plus particulièrement l'étude de leurs constituants, les acides nucléiques prélevés sur un fragment de peau. Un goutte de sang, une goutte de sperme peut permettre, ou plus exactement pourra bientôt permettre, d'identifier très sûrement une victime, un assassin. Dès maintenant l'analyse des groupes sanguins, des groupes tissulaires permet non plus seulement d'exclure comme dans le passé, mais d'affirmer un paternité. Avec de très émouvantes questions lorsque s'opposent parternité biologique et parternité affective.

 

4)

A nouveau pour la définition de l'homme, confort intellectuel après les découvertes de Dausset. Ce confort va, pour moi, être troublé lors d'un voyage au Caire. Une équipe canadienne étudie alors la momie du tisserand Nakcht contemporain de Ramsès II. Les canadiens font trois constatations. Ils reconnaissent la maladie qui a emporté le tisserand, une bilharzioze, parasitose fréquente encore aujourd'hui dans le delta du Nil. On reproche parfois aux médecins un diagnostic tardif. Ici le retard est de trente-trois siècles. En deuxième lieu, les Canadiens isolent les globules rouges de Nakcht qui ont la forme de disques biconcaves des globuels rouges de nos contemporains. Enfin ils montrent que le tisserand Nakcht appartenait au groupe sanguin B. D'où mon trouble. Le tisserand Nakcht était sérieusement mort, mort depuis trois mille trois cents ans. Les groupes sanguins tissulaires définissent aussi bien l'homme mort que l'homme vivant. Mais c'est l'homme vivant qu'aussi nous cherchons à définir. D'autres voies doivent être explorées. Quelques témoins peuvent être consultés.

 

5)

Premier témoin, Vercors. La nature de Tropis, héros de son beau roman, les animaux dénaturés, est incertaine. Un soir, un explorateur les surprend, célébrant un culte à la mémoire d'un des leurs qui vient de mourir. Ils ont une religion, ce sont des hommes.

Deuxième témoin, Jean Hamburger. Il relate l'histoire dramatique d'une jeune malade que l'on croit encore vivante parce que son coeur ba et que ses poumons respirent. Mais son cerveau est mort. Elle est morte. On sait aujourd'hui que la mort est définie par la mort du cerveau.

Troisième témoin, François Jacob. L'homme, écrit-il, est défini par son aptitude à apprendre.

Les témoignages sont concordants. A côté de la première définition par les groupes sanguins apparaît une deuxième définition. L'homme vivant est défini par son cerveau. Définition connue depuis longtemps par les philosophes, par le Cogito de Descartes, par le Maître Cerveau sur son homme perché de Paul Valéry.

 

6)

Comment dès lors unir les deux définitions ? Comment confronter, rapprocher les sang et le cerveau ? Des relations simples sont bien connues, la diminution de l'activité du cerveau, insuffisamment irrigué, des maladies anémiques, l'existence dans le cerveau de centres gouvernant l'état de certains constituants du sang, tel celui découvert par Claude Bernard qui règle le taux du sucre sanguin.

Ces données importantes certes, n'apportent pas la solution. L'extrême complexité du cerveau humain doit à la fois être prise en compte et justement appréciée. Deux apologues peuvent être ici utiles.

Premier apologue: Faust autrefois vendait son âme en totalité au diable. Il peut la vendre aujourd'hui au détail, neurone par neurone, synapse par synapse.
Après un long marchandage, un accord est obtenu. Le diable paiera un franc par neurone, un franc par synapse. Le diable croit avoir fait une bonne affaire. Il a tort. La somme qu'il va verser à Faust est égale à la totalité des impôts payés par l'ensemble des Français pendant cinq siècles.

Deuxième apologue : Pierre est amoureux de Jeanne. Jeanne après une série d'accidents et de maladies doit subir de nombreuses greffes et transplatations. Une de ses jambes, un rein, son coeur sont remplacés par une jambe, un rein, un coeur étranger. Pierre est-il toujours amoureux ? Oui dit-on tant que Jeanne garde son cerveau. Mais voici qu'après une nouvelle maladie, une greffe de cellules nerveuses est décidée. Combien de millions, de centaines de millions de cellules nerveuses peut-on greffer sans altérer l'amour de Pierre ? Un grand poète consulté n'a pas accepté cette présentation du problème. Pierre dit-il est amoureux de l'image de Jeanne et toutes vos greffes n'y changeront rien.

 

7)

On compte d'un côté quelques centairens de milliers de gènes, d'un autre côté des milliards et des milliards de neurones et de synapses. Jean-Pierre Changeux a montré qu'au moins dans certaines espèces animales, des jumeaux vrais, c'est-à-dire des êtres génétiquement identiques, peuvent avoir des cerveaux différents. Il a proposé le terme excellent d'enveloppe génétique pour désigner les limites de ces territoires gouvernés par les gènes de l'intérieur desquels de grandes variations sont possibles. C'est peut être une nouvelle façon de poser le classique problème de la liberté et du déterminisme. Notre cerveau est libre entre certaines limites fixées par la génétique.

De très éminents neuro-biologistes, J.D.Vincent en France, Edelman aux Etats-Unis ont écrit, le premier une biologie des passions, le deuxième une biologie de la conscience. Peut-on imaginer une biologie de la conscience, de cette aptitude à créer qui, me semble-t-il, est la plus importante de toutes les vertus qui définissent l'homme, qui définissent chaque homme, qui distinguent l'homme de l'animal. Aucun animal n'a écrit Hamlet. Aucun animal n'a peint la Joconde.

 

8)

Comme l'a bien montré François Gros, la génétique du système nerveux, la science qui nous permettrait de mieux définir l'homme, est encore balbutiante. La neuro-biologie a beaucoup progressé mais est bien loin d'avoir atteint ses objectifs. Trois hypothèses peuvent être proposées.

La première hypothèse est appelée réductionniste. Les remarquables progrès de la biologie moléculaire, de la génétique moléculaire, les méthodes non moins remarquables mises au point par les neuro-biologistes contemporains vont permettre de nouveaux développements.

Déjà chez la souris ont été isolées des substances chimiques appelées peptides responsables celui-ci de l'amour maternel, celui-là du désir amoureux, cet autre de la satiété après l'amour. Ces chercheurs ne pensent plus comme leurs prédécesseurs du début du siècle trouver un jour l'âme à la pointe de leur scalpel. Mais ils espèrent dans un avenir pas trop éloigné apporter des réponses précises aux questions que nous posent encore la biologie de la connaissance, la biologie de la consciences, la biologie de la création.

Les tenants de la deuxième hypothèse, tout en soulignant l'importance des progrès survenus, s'interrogent sur leus limites. Ils font remarquer que pour leur plus grande part les résultat obtenus concernent l'animal. Or, c'est justement par son cerveau que l'homme se distingue de l'animal. Ils estiment que de nouveaux concepts sont nécessaires. Ils rappellent les révolutions apportées au XIXè siècle par les travaux de Pasteru refusant la génération spontanée et créant la sciences des microbes, par les travaux de Claude Bernard refusant le vitalisme et créant la physiologie moderne. Les questions fondamentales que pose le cerveau de l'homme ne seront réolues que par l'imagination, la réflexion au XXIè siècle d'un homme de génie de même stature apportant des concepts neufs, ouvrant des voies neuves.

La troisième hypothèse a été développée (avec des arguments fort différents) par deux hommes très éminents que tout sépare, Jean Guitton, Jacques Monod.

Jean Guitton estime que la pestion posée échappe à l'homme et appartient à Dieu? Il nous recommande une attitude heureusement exprimées d'espérance évolutive en attendant la veur de la révélation.

Jacques Monod rappelle les lois de la logique. La logique ne permet pas d'être à la fois sujet et objet. Le cerveau de l'homme ne peut chercher à définir le cerveau de l'homme.

 

9)

Les poètes bien avant les bilogiste et depuis longtemps (il suffit d'évoquer les Tragiques grecs) ont su que le sang définissait l'homme. Ils ont bien souvent aussi été émus par les relations existant entre l'âme et le sang. Tel Scève dans la Délie :

Où l'âme libre en grand seunté vivait

Alors le sang qui d'elle charge avait

Les membres laisse et fuit au profond puits

Voulant cacher le feu que chacun voie

Lequel je couve et celer je ne puis.

 

Il ne saurait être question ici de tenter de résoudre un problème éternel. Il est plus important de souligner l'importance des progrès accomplis par la biologie pendant les cinquante dernières années. Dans un temps où la médecine allait devenir grégaire, voici qu'est affirmé par la biologie unique de chaque être humain. Chaque être humain est unique, différent de tous les autres. Il doit être traité, respecté en fonction de ce caractère unique. Ce concept, plus exactement ce fait va inspirer toute la médecine du XXIè siècle. Il pourrait aussi définir, en dehors de la médecine, certaines orientations des sociétés humaines.

 

 

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